Entre la rue, l’urgence et la prison : quand le système abandonne les personnes handicapées

La lettre publiée dans Le Devoir par six psychiatres, intitulée « Des patients vulnérables coincés entre la rue, l’urgence et la prison », résonne douloureusement avec ce que nous constatons sur le terrain. Ces professionnels de la santé ont mis des mots justes sur une réalité que plusieurs organismes dénoncent depuis des années : l’abandon systémique des personnes vivant avec une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA), particulièrement celles présentant des troubles graves du comportement.

Une société qui tolère l’intolérable

Que des psychiatres doivent aujourd’hui rappeler publiquement que l’euthanasie n’est pas une réponse à une souffrance créée par l’organisation du système est un signal d’alarme d’une gravité inquiétante. Si une société en vient à envisager la mort comme issue à l’épuisement, à l’isolement et à la désorganisation des services, c’est qu’elle a perdu le sens même de la dignité humaine.

Le ROPHCQ partage l’indignation des auteurs. Ces propos entendus dans l’espace public ne sont pas des dérapages isolés : ils traduisent le désespoir d’un réseau à bout de souffle, mais aussi la dévalorisation profonde de la vie des personnes handicapées. Car derrière les statistiques, ce sont des êtres humains, des familles, des proches aidants, des éducateurs et des intervenants qui vivent chaque jour dans la peur de la rupture de services.

Des services fragmentés et conditionnels

Les psychiatres soulignent à juste titre le modèle de services « par épisodes », pensé pour des problématiques temporaires. Or, les limitations fonctionnelles, qu’elles soient intellectuelles, sensorielles, motrices, associées à une déficience intellectuelle, à l’autisme ou les deux, exigent souvent un accompagnement continu, stable et humain. Ce modèle de financement à courte vue — où l’on ferme un dossier dès qu’une crise semble terminée — crée une spirale sans fin d’exclusions, de détresses et de rechutes.

Les services de répit, les ressources à assistance continue (RAC), les soutiens en emploi, les activités de jour, les transports adaptés et les milieux de vie inclusifs sont insuffisants, inaccessibles ou en attente pendant des années. Pendant ce temps, les familles s’effondrent, les comportements se détériorent, et les urgences deviennent des solutions de dernier recours.

Des droits fondamentaux bafoués

Le droit à des services de santé et de services sociaux adaptés n’est pas une faveur : c’est une obligation légale inscrite dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) et dans la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées. L’État a le devoir d’assurer la continuité, la qualité et l’accessibilité des services pour chaque personne selon ses besoins.

Quand une personne se retrouve « entre la rue, l’urgence et la prison », ce n’est pas une fatalité individuelle, c’est une faillite institutionnelle. Il est temps que le gouvernement reconnaisse que les « économies de bouts de chandelle » dans le réseau DI-TSA coûtent beaucoup plus cher — financièrement, humainement et socialement — que des investissements durables dans la prévention, le répit et la stabilité des parcours de vie.

Un appel à un véritable changement de cap

Le ROPHCQ appuie sans réserve la demande de tenir des États généraux sur l’autisme et la déficience intellectuelle. Mais au-delà d’une grande consultation, il faut un plan d’action structurant et chiffré, assorti d’engagements clairs :

  • Garantir un accès réel à des services fluides et adaptés, sans interruption arbitraire;
  • Soutenir les familles et proches aidants épuisés par les délais et la lourdeur administrative;
  • Investir massivement dans les ressources de proximité, les RAC et les équipes spécialisées régionales;
  • Assurer la formation et la stabilité des intervenants pour permettre le développement de liens de confiance durables;
  • Revoir la gouvernance du réseau DI-TSA afin que les décisions soient guidées par les besoins des personnes, et non par la logique budgétaire.

Reconnaître la valeur de chaque vie

Chaque fois qu’une personne en situation de handicap est exclue, abandonnée ou maltraitée par omission, c’est toute la société qui s’appauvrit. L’autisme et la déficience intellectuelle ne sont pas des problèmes à « régler » : ce sont des réalités humaines qui nous obligent à repenser notre rapport à la différence, à la solidarité et à la dignité.

Le ROPHCQ se joint donc à la voix de ces psychiatres pour dire : assez d’improvisation, assez de déni.
Les personnes handicapées ont droit à vivre, à être accompagnées, à participer pleinement à la société — pas à être poussées aux marges jusqu’à l’irréparable.