
Huit jours au « trou » pour avoir eu faim : la société a trahi une femmes vivant avec une déficience intellectuelle
Le 15 mai, La Presse publiait un reportage bouleversant sur une jeune femme de 24 ans vivant avec une déficience intellectuelle et le syndrome de Prader-Willi. Un cas parmi tant d’autres? Peut-être. Mais surtout, un symbole criant d’un système qui abandonne les personnes handicapées au lieu de les protéger.
Une détention inhumaine et évitable
Florence a été arrêtée après être entrée chez un voisin pour manger. Elle ne comprenait pas les accusations. Elle ne savait pas quel âge elle avait. Elle était seule à sa comparution. Personne du CIUSSS ou de la ressource d’hébergement n’est venu l’accompagner.
Résultat : incarcérée à l’Établissement Leclerc de Laval, placée en isolement — le « trou » — dans une petite cellule pendant huit jours.
Durant sa détention, Florence se souillait à répétition, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Ce sont deux codétenues qui ont pris soin d’elle, changé sa couche, nettoyé sa cellule. Florence, elle, leur dessinait des soleils. Voilà dans quelle situation elle a été mise.
Un système qui se lave les mains
Ce drame n’est pas une erreur isolée. C’est le résultat d’un empilement de dénis de responsabilité :
- Le CRDI a refusé de relocaliser Florence dans un milieu adapté, malgré les demandes répétées des intervenant·es, des policiers et de la ressource elle-même.
- La ressource intermédiaire, mal équipée pour accueillir une personne aussi vulnérable, a appelé le 911 à 41 reprises plutôt que de recevoir du soutien adéquat.
- Le système judiciaire a enchaîné les étapes – arrestation, comparution, détention – sans s’assurer que Florence comprenait ses droits.
- L’hôpital Philippe-Pinel n’avait plus de place.
- La prison, faute d’alternative, l’a « hébergée » au trou.
Chaque acteur a transmis la responsabilité au suivant, pendant que Florence était enfermée et ignorée.
Un traitement indigne
Le cas de Florence n’est malheureusement pas exceptionnel. Des psychiatres et chercheurs interrogés dans l’article le confirment : ce genre de dérive est fréquent. Les compressions, le manque de personnel qualifié, la fermeture de ressources adaptées et le travail en silo rendent ces tragédies inévitables dans l’état actuel des choses.
Est-ce que la société tolérerait qu’un enfant soit isolé en prison, sans appui, pendant une semaine ? Florence a le niveau de fonctionnement d’un enfant. Et pourtant, c’est ce que notre système lui a infligé.
Ce que nous croyons
Le ROPHCQ refuse que ces histoires soient simplement « tristes ». Elles doivent être transformées en leviers d’action. Nous croyons qu’il faut :
- Des mécanismes d’urgence accessibles et humains pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou un TSA.
- Le réinvestissement massif dans les ressources d’hébergement adaptées, notamment les ressources à assistance continue.
- La création de protocoles clairs entre CIUSSS, CRDI, corps policiers, palais de justice et établissements carcéraux pour éviter que des personnes vulnérables soient abandonnées.
- Une formation obligatoire pour tous les intervenants judiciaires sur les réalités du handicap intellectuel.
- Et surtout, une société qui reconnaît la dignité inaliénable de chaque personne, peu importe ses limitations.
L’Établissement Leclerc : un symbole d’échec
Rappelons que l’Établissement Leclerc, où Florence a été incarcérée, avait été par le gouvernement fédéral en 2012 parce que jugé vétuste, insalubre et non sécuritaire, à la suite de nombreuses dénonciations d’organismes, d’experts et d’employé·es du milieu carcéral. Pourtant, en 2016, l’établissement a été réouvert par le gouvernement provincial en 2016, sans transformations structurelles nécessaires, pour pallier le manque de places ailleurs. Cette réouverture, faite à la hâte, a été largement critiquée par les milieux communautaires et syndicaux. Que Florence s’y soit retrouvée, isolée, dans des conditions inhumaines, n’est donc pas seulement triste — c’est doublement indigne.
Florence mérite mieux. Et elle n’est pas seule.
Au ROPHCQ, nous portons collectivement la voix des plus des milliers de Centricois·es vivant avec des limitations fonctionnelles. Nous savons que ce qui est arrivé à Florence pourrait arriver à n’importe qui dans notre réseau. Et nous continuerons à rappeler : la prison n’est pas une ressource de dernier recours.