Plans d’intervention : la preuve d’un système éducatif à bout de souffle — et non d’une génération d’élèves fragiles
Le dossier publié dans La Presse sur « le Québec champion des plans d’intervention » met en lumière une réalité que les organismes de défense des droits des personnes handicapées dénoncent depuis longtemps : le système scolaire québécois est à genoux, épuisé par sa propre complexité administrative et incapable de répondre efficacement à la diversité réelle des besoins des élèves.
Année après année, le ministère de l’Éducation investit des milliards – 3,7 milliards en 2023-2024 seulement – pour soutenir les élèves en difficulté. Et année après année, les mêmes constats reviennent : les enseignants sont débordés, les élèves mal soutenus et les familles épuisées. Selon le psychologue Égide Royer, « injecter des millions de plus n’y changerait probablement pas grand-chose ». Il croit que le problème n’est pas une question d’argent, mais de vision.
Une politique d’adaptation scolaire figée dans le passé
La politique québécoise de l’adaptation scolaire date de 1999. Vingt-cinq ans plus tard, l’école, la société et les réalités des élèves ont profondément changé. Pourtant, le cadre de référence n’a pas évolué. Comme le dit M. Royer : « C’est comme si on avait une politique de vaccination qui datait de 25 ans. » Dans les classes, cela se traduit par une multiplication des plans d’intervention utilisés non plus comme outil pédagogique, mais comme réponse réflexe à des manques systémiques.
Des directions d’école en produisent parfois « pour toutes sortes de difficultés moins sévères », simplement pour sécuriser du financement ou calmer des inquiétudes parentales. Résultat : le plan d’intervention est devenu un pansement administratif qui occupe le temps des enseignants, des orthopédagogues et des directions, au détriment du temps passé pour les élèves eux-mêmes.
« Je fais plus de paperasse qu’apporter du soutien direct aux élèves », confie une orthopédagogue citée par La Presse.
Voilà tout le drame de notre système : l’énergie se perd dans la bureaucratie plutôt que dans la pédagogie.
Quand l’inclusion devient une illusion
Le plan d’intervention devait, à l’origine, favoriser la réussite de chaque élève en lui offrant des mesures adaptées à ses besoins.
Mais dans les faits, il sert souvent de preuve administrative que l’école a « fait sa part », même lorsque le soutien concret manque.
Dans les écoles secondaires publiques, un élève sur trois a aujourd’hui un plan d’intervention — deux fois plus qu’il y a vingt ans.
Dans certaines classes, les enseignants jonglent avec 12, 13, parfois 14 plans différents, chacun imposant des mesures particulières, des suivis, des communications avec les parents. Cette explosion est le symptôme d’un système qui isole les différences au lieu de les intégrer.
Et pendant que les écoles croulent sous les documents, les services spécialisés – psychoéducation, orthophonie, ergothérapie – manquent cruellement. Le résultat ? Des enfants avec un plan d’intervention… mais sans soutien réel.
Des plans pour tout, mais des solutions pour personne
Les exemples donnés dans le reportage montrent à quel point l’école tente de colmater les brèches avec de la bonne volonté, faute de structure globale. Ces mesures, souvent pertinentes, deviennent insoutenables lorsqu’elles se multiplient sans les ressources nécessaires. Elles révèlent une fatigue du système, où l’on tente d’individualiser à outrance ce qui devrait être soutenu collectivement.
Les enseignants, eux, atteignent un point de rupture. « On dirait que les directions et les parents pensent que c’est la recette miracle qui va sauver leur enfant », confie une enseignante. Mais ce n’est pas une question de miracle : c’est une question de volonté et de priorité politique.
Une révision urgente et une consultation provinciale nécessaire
Le ROPHCQ appuie la demande d’une vaste consultation provinciale sur la politique d’adaptation scolaire. Il ne s’agit pas seulement de « réviser un document vieux de 25 ans », mais de repenser entièrement le modèle québécois d’éducation inclusive.
Cette consultation devra poser les vraies questions :
- Comment soutenir l’inclusion sans bureaucratiser la différence ?
- Comment financer équitablement les services sans exiger un plan d’intervention pour chaque geste d’aide ?
- Comment redonner du pouvoir d’action aux enseignants, aux orthopédagogues et aux professionnels spécialisés ?
- Comment faire en sorte que le soutien direct prime sur la paperasse ?
Injecter plus d’argent sans réviser les pratiques, c’est comme remplir un seau percé.
Nous avons besoin d’une refonte collective, pas d’un simple ajustement technique.
Pour une école qui cesse de panser et commence à penser
Les élèves ne sont pas le problème. Ce sont les structures, les politiques et les paradigmes qui ne tiennent plus. L’école doit redevenir un lieu d’apprentissage collectif, et non un champ d’application de mesures individuelles empilées les unes sur les autres.
Oui, certains élèves ont besoin d’adaptations précises. Mais quand la majorité en a besoin, c’est le modèle d’enseignement qui doit être revu, pas les élèves qu’il dessert.
Ce que le ROPHCQ croit
Pour passer de la gestion à l’inclusion réelle, il faut :
- Réviser la politique d’adaptation scolaire à travers une consultation nationale participative ;
- Réinvestir dans les services de proximité : orthophonie, ergothérapie, psychoéducation, éducation spécialisée ;
- Valoriser les approches universelles et collaboratives d’enseignement ;
- Et surtout, écouter les élèves, les parents et les organismes communautaires qui vivent quotidiennement les limites du système.
De la “béquille” à la boussole
Les plans d’intervention ne doivent pas être une béquille pour un système fatigué. Ils doivent redevenir une boussole collective vers la réussite pour les élèves qui en ont besoins.
Ce n’est pas d’un système champion des plans d’intervention dont le Québec a besoin. C’est d’un système champion de l’équité, de la bienveillance et de la réussite pour tous.
